Le Père Noël s’arrête. Il ôte sa hotte. Stoppe les préparatifs. Ca alors ! La relit trois fois, la circulaire du patron.
Mauvaise nouvelle. Confirmée par un mail du syndicat.
Eh, ça mérite méditation, ça réveille la réflexion.
De quoi protester, ah, ça, oui, il a de quoi, le Père Noël. Mon statut, mon statut !
Plus intermittent que moi, tu meurs ! qu’il grommelle dans sa barbe. Un jour par an de plein emploi ! Le reste du temps : chômage technique.
Et voilà qu’on veut lui supprimer ses indemnités !
On n’aura jamais que de la misère avec ce patron-là, dit la mère Noël.
Il va les nourrir comment, ses rennes ? hein ? les garder en forme, les bichonner toute l’année, et le loyer de l’étable ? le graissage du traîneau, hein ? de sa poche peut-être ? en farfouillant dans sa robe ?
Comment il va entretenir sa bedaine, mettre son costume au pressing ? C’est de sa faute s’il ne travaille qu’une nuit par an ? C’est à lui que ça nuit, évidemment. Et, pour la retraite, le nombre d’annuités? in-fi-ni ! Plus t’es vieux, plus t’es vendeur.
C’est lui qui l’a inventé, le calendrier, peut-être ? S’il ne tenait qu’à lui, l’année n’aurait que des avents et des fins …
Un scandale. Exploité.
Le Père Noël soupire. On est le 17 décembre. Il a encore le temps de déposer un préavis de grève pour la nuit du 24 au 25.
« Père Noël en grève ». Hotte en berne. Service même pas minimum. Eh, les minots, arrivez par là avec vos chaussons, vos cheminées, les guirlandes et tout le tralalala. Constatez : Opération souliers vides. Zéro jouet. Chaussons morts. Pas de cadeaux, pas le moindre petit gadget. Rien. Ou alors juste un tract.
Pas une bonne idée, ça ? Risque pas de passer inaperçue, la grève du Père Noël, on convoquera toutes les chaînes et pour la manif, faudrait voir que la police serait pas d’accord avec lui sur le nombre et l’attitude digne – mais ferme – DU manifestant !
Ils vont en faire une tête les petits nenfants ! Qu’est-ce qu’ils vont être malheureux ! Et lui, alors ? Trop triste et totalement déconsidéré.
Tu vas te saborder, Père Noël, te sa-bor-der, tu m’entends ? intervient la mère Noël. La grève ? T’es siphonné ou quoi ? Tu scies la bûche sur laquelle t’es assis ! et le sit-in sur les toits, c’est pareil, pas pour toi !
Soupir. Que faire ? Ah, c’était mieux, du temps de l’ancien patron ! On savait où frapper, alors. Y avait un portier, une clé, et là-bas, sur son nuage, un interlocuteur, même si on le voyait jamais. Un système paternaliste dépassé, qu’ils disent, au syndicat, bien sûr, bien sûr, mais …
Ça, c’était du temps de son prédécesseur. Un sacré veinard, celui-là. D’abord, la charge de travail : presque rien. Se coltiner quelques kilos d’orange, un peu de sucre candi, deux trois poupées, des papillotes, c’est pas ça qui lui abîmait le dos. Rien de comparable avec les tonnes de jouets sophistiqués, les motos et les 4X4, qu’il trimballe, lui ! D’accord, le véhicule de service, à l’époque, c’était un âne, mais quand même !
Non, la différence – essentielle – c’est qu’il avait un petit boulot à l’année, l’ancien. Mais oui, assuré, garanti. La garde d’enfants, qu’il faisait, en plus, le Nicolas : les p’tiots, il les empêchait de se laisser aller, de se laisser saler, il les protégeait. On l’en priait, en ce temps-là. Saint, ça c’est un statut. Et des statues en plâtre, de lui, partout.
Remarquez, un vieux bonhomme comme ça, baby sitter, même sacré, de nos jours, ce serait plus possible, il risquerait trop d’ennuis : Saint-Nicolas, le procès, êtes-vous pour la castration chimique et tout et tout, tu vois d’ici les titres des tabloïds. Et puis Saint -Nicolas, de nos jours, c’est ringard, ça fait pas assez bling-bling
Mais, à ce moment-là, le Nicolas, s’il trouvait le temps long, il pouvait aussi faire la tournée de ses églises, hiver comme été ! Et dans les beaux quartiers ! Se la couler douce au Chardonnet ! Ah, c’était le bon temps !
Maintenant, Noël, c’est laïc, dit la mère Noël. Tu vas pas remettre en question la loi de 1905, non ? Laïc d’accord, qu’il bougonne, va pour laïc, mais le hic, c’est la crise ! Tous les bénéfices vont à la firme commerciale et tu crois qu’ils redistribuent ? qu’on offre des actions, au Père Noël ? Ah non ! Même pas des rogatons.
Tout juste si la firme fournit l’uniforme à ses couleurs. Quels pingres. Et le métier, c’est encore plus dur qu’au fast-foude. Et là, les travailleurs, au moins, ils sont pléthore. J’ai tort ?
Calme-toi, mon pépère, et foin de la nostalgie ! sois actif, y a urgence, qu’elle dit, la mère Noël. Sois créatif. Moi, j’ai envoyé une motion pour réclamer la parité. Femme au foyer – avec un foyer éteint 364 jours par an, ça ne me va pas ! Femme active, je veux être, je suis trop dépitée à force de voir mon homme déprimé, désormais je serai députée de la Galaxie des Cadeaux, avocate des pas-perdus et des causes-toujours, défenseure des enfants-passages et des intermittents miteux.
Ça, c’est une idée, la mère ! Moi aussi, j’écris une motion. Et je la présente. Et je la vote. Et je la porte à qui de droit, à qui de doigt. Et je demande des droits sur mon image. Non mais alors, assez abusé de ma trogne rubi-conne, assez tiré le portrait de ma barbe enneigée, assez rogné sur l’avoine de mes rennes ! Stop à la pub sur mes harnais, halte au commerce de mes grelots !
Il me faut mes indemnités, avant que ma houppelande sois mitée, et, en plus, de divins dividendes sur les affiches et les sucettes et toutes les pages glacées ! Ils ont besoin de moi non ? On peut pas supprimer Noël ! La Pentecôte, d’accord, c’est pas coté, rien à vendre, les langues de feu sucrées, ça n’a pas eu de succès, l’Ascension, sans avenir, l’Assomption, pas commercial, mais Noël !
Voilà : désormais j’exige de travailler plusieurs fois dans l’année. A moi, la distribution des œufs de Pâques ! Les cloches, c’est totalement dépassé, pas assez laïc, adieu le bourdon, moi je remplace le carillon.
Mieux que ça, mon homme – la mère Noël, elle a toujours de bonnes idées – place-toi pour les nouvelles fêtes, les jours fériés tout frais : apporte les moutons pour l’Aïd, des cadeaux pour Kippour !
Ah ! C’est une nouvelle carrière qui s’ouvre à moi ! Un statut stupéfiant : le Père Noël intercommunautaire et bientôt intergalaxique !
Pourvu qu’ils ne fassent pas traîner en imposant une étude de faisabilité. Pourvu surtout qu’on ne m’interdise pas les signes ostensibles de ma fonction, car, c’est sûr, je ne vais pas faire les tournées en complet veston.
Accompagne-moi, la mère, je vais défendre ma fréquence d’intermittence, imposer mon nouveau statut !
Le père Noël, ragaillardi, reprend sa hotte, brosse sa fourrure, essuie ses pataugas et, hop, en route pour le siège du syndicat.
Sa motion, foi de bonhomme en rouge, elle passera, et le patron, on va lui en faire voir, nom d’un coca-cola !