En l’honneur de Jacques Roubaud
Pour Jacques Dubois
J’ai toujours aimé les îles
Je connais l’île d’Yeu
L’île aux Moines
Mais pas l’île du Diable
Je connais l’île de Ré
Mais pas l’île de Mi
Je ne veux pas voir les îles de Do
Je connais Groix Belle Ile et Houat
Hoedic la Corse et l’île de Batz
Mais pas Oléron
Pas encore mais bientôt …
Je roule en Autocar vers le Pont
J’ai pris des bus des trams des rickshaws des avions
Mais l’Autocar pas depuis mon enfance.
Cet Autocar s’appelle « Les Mouettes »
Ca tombe bien j’aime les mouettes
Les sternes
Les goélands
Les frégates et les courlis
J’accorde ma sympathie à tous les oiseaux – même les pigeons
Aux humains aussi avec parfois une once de réticence.
Au-dessus des champs de colza et du blé vert vif des cigognes planent, leurs nids embroussaillés trônent sur les pylônes.
Le Pont saute la mer avec grâce.
Oléron.
L’Autocar s’arrête Crédit Agricole – Oui, faire crédit au blé en herbe, au jaune vigoureux du colza, faire crédit à la terre.
Je suis à Château. Pas au Château, comme une vulgaire princesse de conte. A Château.
Surprise : un silence insulaire imprègne cette plus- tout -à –fait- île.
Des cabanes aux couleurs vives semblent gambader au soleil.
Ma valise roule gentiment jusqu’à l’hôtel des Roches Noires
des Flots verts
du Grand Large
des Embruns
du Phare Rouge
du Fort Boyard
du Sable Blanc
(à vous de choisir)
J’ai toujours aimé les hôtels.
Mais celui-ci résiste. La porte est fermée. Les volets aussi. La sonnette résonne dans le vide. Je fais le tour de la maison sans trouver la porte de service.
Un bout de papier est scotché sur un volet du rez-de-chaussée.
« Hôtel fermé ». Suit un n° de mobile.
Un jeu de piste, quoi. Plus amusée que furieuse, j’appelle.
Une voix d’homme : « l’hôtel est fermé. »
– Merci, j’avais remarqué. Et ma chambre alors, ça fait un mois que j’ai réservé !
– Je peux passer vous ouvrir, attendez un peu.
J’attends.
Par chance j’aime bien les aventures :
Les péripéties
Les avatars
Les imprévus
Les aléas
Les impondérables et même les contrariétés.
Une voiture hors d’âge se gare le long du trottoir, en sort un homme d’un âge à définir (j’y réfléchirai plus tard) des épaules larges, une barbe courte.
Sur la tête une hybridation de casquette et de bonnet.
Bel homme malgré l’air renfrogné.
– Le patron est parti. Je vous ouvre. Il y a deux clés, celle d’en bas, celle de la chambre.
L’escalier, plongé dans l’obscurité, sent le moisi. Il fait plus froid que dehors.
Sans un mot, il ouvre la porte de la chambre. Un sépulcre. Je frissonne.
– Pourquoi avoir fermé l’hôtel ?
– … Un problème. Quelqu’un est mort.
– Dans cette chambre ?
– Oui
– Je pourrais en avoir une autre ?
– Je n’ai qu’une clé et c’est la seule avec vue sur la mer.
– Ah.
– ‘Soir madame.
Je m’allonge sur le lit. J’essaie de penser au vol des cigognes et des goélands, mais une escadrille de papillons noirs fonce sur moi.
Suicide, accident, deuil, blessures à l’âme.
Vite, sortir. Refermer les portes, garder les clés.
Retour au soleil, couchant, somptueux.
Un fauteuil sur le Port, près des cabanes qui font claquer leurs couleurs fraîches. Elles portent des noms réjouissants en forme de calembours :
Thé –au- logis
Les z’arts
A fleur de peaux
Mohair
Ukulélé
Muses et hommes
Ile en soie
Ca va mieux.
Il y a chez l’être humain un immense besoin de consolation, dit le philosophe. Mon outil de consolation est en verre, orné d’une d’une couronne de mousse, couleur topaze traversé de bulles, choisi dans une liste réconfortante :
Leffe
Grimbergen
Stella
Heineken
Dorval
(vous pouvez continuer sans moi)
Au moment de la fameuse première gorgée, mon téléphone sonne.
– Si vous voulez on peut manger ensemble.
Bon. La conversation risque de languir, avec un homme aussi peu bavard. J’accepte bien sûr.
Restaurant.
– Qu’est-ce que vous aimez ? Fines de claires n° 4, n°3, n°2, n°1 ?
J’hésite. Spécial Gillardeau ? n° 4, n° …. Je vous invite.
On dirait que tout s’arrange.
Vin de pays. Fines de claires. Fin de l’air renfrogné. Fin des manières distantes.
J’interroge : tu vis ici ? tu fais quoi ?
– Créateur
Est-ce qu’il se prend pour Dieu le Père ?
– Tu vois ces anciennes cabanes de pêcheurs, avec leurs couleurs, eh bien ce sont des « cabanes de créateurs »
– Oh tu es artiste ! Tu crées quoi ?
Objets en fer blanc, bijoux. Ma cabane c’est la mauve, là-bas.
Fin de la première bouteille. Ouverture de la suivante.
– Tu n’as pas envie de dormir à l’hôtel, n’est-ce pas ?
– Non, c’est plein de papillons noirs.
– Ca te dirait, dormir avec moi, dans la cabane ?
J’acquiesce.
– Qu’est-ce que tu aimes ?
Il se lève, s’approche de mon oreille et me chuchote une liste.
….
(Attention, celle-là, elle va rester secrète. Faites appel à votre expérience ou à votre imagination)
J’acquiesce à nouveau et j’ajoute quelques propositions.
…
Il rougit légèrement. Moi aussi. C’est le vin de pays.
………..
Je dors profondément. Sonnerie. C’est mon téléphone. Je sors d’un rêve en mauve. Tiens il n’y a plus personne à côté de moi. Le Créateur est déjà levé, envolé. Au fait, quel est son nom ?
La sonnerie insiste. Cette fois, ce n’est pas la voix du Créateur.
– Mais qu’est-ce que tu fous ? Tout le monde t’attend ! Tu ne devais pas arriver hier et te lever de bonne heure ? Il est onze heures, tu es prévue pour onze heures trente devant le public ! Il y a un monde fou ! T’es où ?
– Mmmmmm
Je reprends conscience. C’est vrai, c’est le Salon du Livre. C’est même ce qui a motivé ma visite ici.
– Bon, dépêche-toi, j’annonce la lecture et la signature du livre. Tu sais ce que tu vas lire au moins ? Tu as préparé ?
– Naturellement, tiens écoute :
J’ai toujours aimé les îles
Je connais l’île d’Yeu
L’île aux Moines
Mais pas l’île du Diable
Je connais l’île de Ré
Mais pas l’île de Mi
Je ne veux pas voir les îles de Do
Je connais Groix Belle Ile et Houat
Hoedic la Corse et l’île de Batz
Et Oléron l’île aux surprises …
Guillemette de Grissac 27/04/13