Conte indien transmis par Patrice Favaro
Des gens jamais contents, nous en connaissons tous, des râleurs, des rouspéteurs, ainsi Raô vous sera immédiatement familier, même si son histoire se passe il y a très longtemps, du temps où la Mère du Monde vivait encore parmi les humains.
Raô n’avait qu’un seul bœuf qui labourait sa rizière, tirait sa charrette et lui tenait compagnie. Au travail, Raô et son bœuf avaient trop chaud.
Raô s’en vint revendiquer.
Mère du Monde, ne laisse pas le soleil nous brûler ainsi, je t’en prie, remonte-le un peu !
Mère du Monde accéda au souhait de Raô. Dès le lendemain matin, celui-ci fut ravi par la beauté des cristaux de givre sur l’herbe, mais quand il voulut faire sa toilette, l’eau gelée de sa cuvette le mit en colère. Son bœuf grelottait.
Mère du Monde, ce n’est pas possible, le soleil est trop loin, rapproche-le un peu !
A nouveau le soleil se mit à craqueler la terre, dessécher la rizière et assoiffer les bêtes. Raô rouspétait sans cesse.
Cette fois-ci, Mère du Monde, le voyant s’approcher, demeura inflexible quant à l’emplacement du soleil. Assez, dit-elle, assez, je laisse le soleil où il est. Pour te protéger, voici les arbres.
Cette nouvelle création fut d’abord appréciée de Raô. Cependant, très vite, il s’aperçut qu’au milieu du jour, l’ombre était mince et insuffisante, son bœuf n’avait même pas la place pour s’y coucher quand lui-même était alongé.
Mère du monde, c’est insupportable, il n’y a pas assez d’ombre, nous transpirons, nous risquons l’insolation, exauce encore un souhait.
Eh bien, dit la mère du Monde, voici les banians. Est- ce suffisant ?
Les banians étalèrent leur ombre large et solide, leur ombre sacrée.
Raô passait de plus en plus de temps à faire la sieste et délaissait son travail.
Quel dommage, Mère du Monde, que de si beaux arbres, si protecteurs, ne puissent aussi nourrir les humains? N’as-tu pas pensé à régaler tes créatures ? Tu vois bien que c’est imparfait ! Donne-moi à manger !
Mère du Monde alors inventa le figuier.
Mais elle décida de quitter la place et de s’installer hors de portée de Raô et ses semblables. Celui-ci trouvait justement que la nourriture manquait de variété et s’apprêtait à rouspéter de plus belle.
C’est alors qu’il entendit quelque chose d’insolite résonner à ses oreilles. De toutes les branches du figuier s’échappaient des sons mélodieux, des notes harmonieuses, des chants qui se répondaient. Le bœuf aussi dressa les oreilles entre ses deux longues cornes bleues.
Quelle merveille, s’écria Raô, quelle beauté, quel bonheur, comme cette musique m’emplit de joie.
Raô venait de découvrir les oiseaux.
A bonne distance, désormais hors d’atteinte, Mère du Monde riait sous cape en regardant Raô comblé par son ultime cadeau.
Eh bien, Raô, mon râleur, tu comprends maintenant quels sont les trésors les plus doux : ceux que l’on n’a pas souhaités …