Jadis, à Madagascar l’Endormi s’appelait le Caméléon et c’était le plus rapide de tous les batraciens de la Création. On ne voyait même pas ses pattes tant elles tricotaient la vitesse. Son corps était d’un beau rouge brun, comme la couleur de la terre insulaire, et sujet à quelques variantes.
Il fonçait toujours droit devant lui, avec étourderie parfois. C’est ainsi qu’un jour il percuta violemment l’œil du Fosa. Celui-ci, se trouvant offusqué autant qu’éborgné, s’en fut trouver le Magicien.
Au nom de tous les services que je t’ai rendus jusqu’à présent, fit valoir le Fosa, exhibant sa double rangée de dents féroces, débarrasse-moi, je te prie, de ce dangereux importun.
Le Magicien obtempéra. Il fit comparaître le Caméléon et lui dit :
Désormais, tu avanceras une patte après l’autre, avec lenteur et circonspection, au rythme de la goutte d’eau qui suinte des vieilles pierres du Rova, à la saison sèche. Tu bougeras la tête d’un côté puis de l’autre comme bouge une feuille de baobab lorsque aucun vent ne souffle sur la plaine de Majunga.
Et le Caméléon s’en retourna. Plusieurs semaines s’écoulèrent avant que, à moitié mort de fatigue, il ne regagnât son domicile.
Tout le monde le surnomma l’Endormi.
Hélas, peu à peu, ses descendants furent décimés : à chaque fois qu’ils s’aventuraient hors des branches pour traverser un chemin, ils périssaient écrasés sous les pattes des sangliers, des chevaux ou des mangoustes. Sans parler des dents vengeresses des fosas et des pieds barbares des humains.
Alarmé, le Magicien – ou plutôt son successeur, car bien du temps s’était écoulé – fit venir le Caméléon, l’un des rares survivants de l’espèce.
Je ne peux, dit-il, ô Caméléon-Endormi, te ramener à ta condition antérieure mais te sauver la vie, c’est possible. Tu monteras sur ce bateau que l’on aperçoit au loin : il est en partance pour une île de petite dimension, tranquille et bien pourvue en végétation. Tu pourras dormir et te reproduire à ton aise. De plus, afin de te protéger, je te fais don de la couleur. Désormais tu arboreras une couleur vert émeraude rutilante. Ainsi, traversant un chemin, tu ne passeras plus jamais inaperçu, que la terre soit rouge, brune ou noire.
Ce qui fut dit fut fait.
Et c’est depuis ce temps que …
Eh, m’interrompez-vous, c’est vrai pour l’Endormi Mâle ! Mais la Dame Endormi, pourquoi est-elle restée brune ?
Alors, je vous laisse réfléchir :
A votre avis, le Magicien était-il simplement distrait ou carrément misogyne ?