Pendant longtemps, j’ai aimé seulement la nature « sauvage » et déprécié les chemins balisés. Pour qu’une balade me semble intéressante il fallait qu’il y eût risque de se perdre, une balade inoubliable étant évidemment celle où l’on s’était perdu. Grands espaces, sinon rien. Les jardins me semblaient trop bien peignés, arrangés, domestiques. Les parterres de fleurs m’agacent, fleurs en cage, maniérées, ridicules, herbe en sursis. C’est seulement maintenant que j’admire les jardins, que je m’y sens bien. Ici dans le jardin créole je vois tout ce qu’il recèle de créativité, d’amour, d’interaction délicate entre l’humain et la plante. Peu à peu ma vision hyper-romantique de la nature avec ses modèles mythiques a perdu de sa radicalité. Et le paysage aussi a changé. Aujourd’hui, ce qui reste de la nature sauvage, c’est à protéger, à préserver, à mettre en parc, en réserve, en conservatoire. Sinon, c’est culture intensive, friche impénétrable, terrain vague ou béton. Va pour les parcs, les sentiers, les balises, va pour « moi-maintenant ». Remise en question de ma vision romantique. Au moins je jouis de la beauté sans condition. Je vois l’arbre, sa vitalité et non la clôture, la vie intime de la fleur et non la limite du « massif », le foisonnement végétal plutôt que le fantôme d’une forêt primaire perdue. Mais pas les oiseaux, un oiseau c’est sauvage. Pas de volière qui vole leur liberté. Toujours détester les cages.
Carnet de Réunion 3 – Nature sauvage
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