Conte indien transmis par Patrice Favaro
Naguère vivait dans le Tamil Nadu, une enfant très jolie qui aimait dessiner dans la poussière, sur le sol desséché, fabriquer des couleurs avec la terre et les plantes et par-dessus tout danser. Sa maison était isolée des autres maisons, toutes aussi modestes, plantées dans la campagne, loin de la ville, mais riche en oiseaux et en animaux domestiques et sauvages. La seule maison proche de la sienne était celle d’un vieillard à qui elle rendait souvent visite, sans rien dire
Un jour elle se décida à lui parler.
Tu ne travailles pas aux manguiers, ni bananiers ni aux plantations de thé, que fais-tu, vieil homme toute la journée assis sur le seuil de ta maison ? Es-tu un brahmane ? Le vieux s’éventait avec une palme et chassait d’un geste tranquille les mouches et les taons.
Je suis sculpteur, dit-il.
La petite fille ignorait tout de la sculpture, elle n’osa pas questionner davantage, et, pour le remercier, elle dansa devant lui.
Chaque jour elle revenait et observait le vieux. Il n’avait toujours rien entrepris. Elle lui apportait des œillets, des fleurs d’hibiscus, et parfois du lait.
Ils n’échangeaient guère de paroles. Elle tourbillonnait, faisait tinter ses bracelets, en l’observant, comme si le visage ridé allait tout à coup s’éclairer et dire son secret.
Un jour un camion décoré de guirlandes s’arrêta en brinquebalant devant la maison, et des hommes, à l’aide d’un plan incliné firent rouler devant la maison du vieux un énorme bloc de pierre, blanc veiné de gris.
Et l’homme se mit au travail.
D’abord, il attaqua le bloc vers le bas et le rendit moins massif.
Quelques jours après, on vit émerger dans la partie supérieure un arrondi.
Est-ce que tu représentes le Taj Mahal, dit l’enfant ?
Le sculpteur était bien trop occupé pour répondre.
Par la suite il creusa la pierre de telle sorte qu’il y eût comme deux dômes siamois.
L’enfant regardait toujours avec attention et le vieillard fit apparaître une tête ronde émergeant d’un corps arrondi aussi.
– Tu fais un gros chat qui dort, dit l’enfant ?
Mais le jour suivant elle vit bien qu’il n’y avait pas d’oreilles pointues taillées dans le marbre.
-C’est un boeuf ? dit-elle ?
Il n’y eut pas de cornes non plus. Quand elle revint le lendemain, le tailleur de pierre venait de faire sortir avec son ciseau une grande oreille et s’apprêtait à commencer l’autre.
– Un éléphant ! Un éléphant ! Bien sûr, un éléphant ! C’est Ganesh ?
Maintenant le sculpteur travaillait très lentement, comme s’il voulait faire durer le contact entre lui et le marbre et peut-être aussi entre le marbre et le regard de la petite fille. Celle-ci applaudit quand il sculpta la trompe, et la bouche, ouverte, presque souriante de l’animal. Les pattes étaient encore prises dans le bloc, mais le sculpteur ne s’en souciait guère. Il travaillait sur les yeux, et c’est, vous savez bien, le plus difficile. Le regard de la statue.
– Tu vois, dit le vieillard, aujourd’hui, c’est le dernier geste, ensuite, on peut croire que la pierre est vivante ! Avec mon ciseau, je fais sauter un dernier éclat, au milieu de l’œil et, regarde bien, nous verrons briller la pupille de l’éléphant…
La sculpture était terminée. La petite fille la regardait avec admiration et avec plus d’admiration encore son vieil ami.
Elle dansa autour de l’éléphant, mit à ses pieds des œillets orange et du jasmin, puis s’assit avec gravité.
Tu as quelque chose à me demander, dit le sculpteur ?
Oh, oui, répondit l’enfant. Je voudrais savoir …
Ses yeux brillaient.
– Dis-moi, comment tu as su qu’il y avait un éléphant dans la pierre ?