INVENTERRES se présente comme un carnet de bord écrit par une narratrice jamais lassée d’observer et déchiffrer ce qui l’entoure. C’est une découverte progressive de l’Ile de la Réunion, dont le fil conducteur est le langage. Les mots orientent la découverte : ils désignent des lieux, terres, rivières, montagnes, ravines qui existent d’abord sur le papier, sur une carte de l’île : elle ira à leur rencontre. Elle se passionne pour les noms des végétaux, des animaux, et pour tous ceux qui révèlent la présence humaine : noms de rues, souvenirs des disparus, traces du passé historique. Elle relève aussi des traces plus humbles : messages griffonnés dans l’espace public, ou sur les calumets, petits mots d’amour maladroits. Elle va à la rencontre des arbres, banians et vacoas, des fleurs sauvages et et de celles qui ornent les jardins : pour les nommer autant que pour les voir et les respirer.
Elle regarde les oiseaux, ses amis de toujours et jusqu’aux empreintes que laissent leurs pattes légères sur le sable sombre.
« Corps – écriture des oiseaux
Migrateurs, passagers des rivages, laissent sur la vase ou le sable mouillé des signes légers.
Froissement d’ailes, ombre de plumes, ombres d’ombres.
Trois éraflures régulières sur le sable, trois traits impalpables s’effacent dès que sur la grève court un chien fou, ou bien mes pas les recouvrent.
Pluvier argenté
Tournepierre à collier
Courlis Corlieu qui vont par couple
Bécasseaux sanderling petits jouets mécaniques
Chevalier guignette hochant son corps au bord du réservoir
Pétrel
aile étroite corps qui jubile à jouer avec la vague » (p 13)
Dresser des inventaires, c’est en même temps cheminer dans sa propre histoire : quand elle choisit de capter les paysages, ses émotions affleurent. Elle écoute avec autant d’attention le cri ténu du gecko que le grondement du magma ou le bruissement furieux des vagues. Peu à peu les signes prennent sens et l’itinéraire se fait plus intime.
INVENTERRES est constitué de listes, de mots parfois attrapés au vol ou même volés : l’auteur récupère des mots comme d’autres artistes récupèrent les matériaux et leur donnent avec une nouvelle intention, une autre vie, tout aussi éphémère.
« Les noms des plantes sauvages que j’observe deviennent poèmes sur mon carnet :
Corps végétal des noms
Bois de mangue Change- écorce
Joli-Cœur
Bois de négresse Petit natte
Cheveux de Vénus
Bois – couleurs
Bois de nèfle
Bois cannelle
Brande vert
Bois de pomme mahot rouge
Mapou Liane marabit
Fleur jaune
Veloutier …. » (p22)
Et c’est finalement l’émerveillement devant le microcosme autant que la sidération d’être dans le monde que ces « INVENTERRES » tentent d’exprimer.
Dit du vacarme intérieur
Enfin le charivari des mots s’apaise. Ils cessent leur parade de cirque et trouvent parfois leur véritable lest.
Les signes prennent sens à mesure que les mots se raréfient.
Inventaires abandonnés au vent
J’éparpille au vent des cimes les items, les kyrielles, les litanies, les listes, les ribambelles comme on souffle la fleur du laiteron.
Je retarde le moment de me colleter à l’indicible. Qui s’y risque sans honte de sa propre vanité?
Signe de silence
A la vaste respiration océane
tente de s’accorder
le bruit ténu de mon souffle
Vers le cœur
Le cœur profond de l’île
est blanc
(je le croyais sombre)
blanc jusqu’à l’incandescence
C’est descendre dont il s’agit
(descendre au début me rebute et blesse ma vanité)
cesser enfin la course aux cimes
l’illusion du toujours plus haut
assez
assez caracolé à l’étiage des nuages
se laisser descendre en soi
cesser d’accumuler
les expériences les départs les périls les ailleurs
accepter d’abandonner
les peaux successives
la dépouille des mots ….
INVENTERRES a été adapté pour une déambulation artistique au CBNM, le 11 novembre dernier.
INVENTERRES le livre est à commander directement à l’auteure par mail.
3 pages extraites de INVENTERRES (Prix 2004 des éditions Grand Océan, édition 2010)
En raison des contraintes de mise en page ces extraits sont disponibles en fichier pdf à télécharger : inventerres_extrait