Il y a des jours où vous avez des doutes sur l’humanité, pas vrai ? Après avoir lu certains écrivains ou certains philosophes ? Ou seulement regardé le journal télévisé ? Ou jeté un coup d’œil sur la une du Quotidien ?
Alors ? Sortir, marcher, aller vers la mer. Une valeur sûre, la mer. N’êtes pas le premier, la mer, la mer toujours recommencée, allons, rien de mieux pour évacuer le vague à l’âme que le mouvement des vagues.
Nous y voici. On laisse le regard errer sur l’horizon vide, sur le mouvement de houle, et retour au bord : la mer, ici, faut reconnaître, elle charrie des galets et d’autres choses pas très propres, elle est grise et pas question d’aller s’y baigner. Pourtant ce serait bien, avec cette chaleur. On regarde ailleurs ? Non, pas le boulevard, la queue leuleu des voitures, le voile de fumée, le tut- tut-tut des impatients, les grognements de moteur, non, on regarde l’espace autour du bassin, les jets d’eaux rafraîchissants, la moquette verte de la nouvelle aire de jeux pour les enfants. Toute pimpante, animée de couleurs vives.
C’est mercredi, il y a du monde, sur les toboggans, les ponts de cordes, dans les maisonnettes de bois jaunes et rouges. Des mères qui papotent ou consolent, surveillent les poussettes. Les pères jouent, encouragent la descente périlleuse du grand toboggan, d’autres ont l’air d’avoir envie d’être ailleurs.
Les enfants courent, crient, rient, pleurent, jouent avec une façon d’adhérer à l’instant qui vous fait envie. Et quel sérieux pour creuser un trou dans le bac à sable ! Les adultes mettent des années pour acquérir ce sérieux-là, et ensuite il ne peuvent plus s’en défaire. Tandis que ceux-là, en un dixième de seconde, leur mine grave vole en éclats de rire.
Tous sont nés avec le siècle. Un privilège qu’ils partagent avec votre arrière-grand-mère, et le père Hugo, pour celui d’avant. C’est bien la première fois que l’on démarre un siècle les pieds dans des baskets, non ? C’est mieux pour se placer dans les starting blocks du millénaire ! Et en couleurs, et à l’aise, et ensemble, garçons et filles !
Sur un banc, une petite fille est assise, comme s’assoient les enfants, les jambes n’importe comment, prête à l’envol, posée juste un instant, des tresses diablotines sur le haut de la tête. Un garçon court vers elle, en riant, bouche grande ouverte sur les dents de lait, grimpe sur le banc, s’approche tout près, comme pour l’embrasser – ou mordre ?- non, l’élan du corps est affectueux, et elle est totalement confiante. Mais au dernier moment, tout près du visage rieur, il suspend son geste, et, comme si quelque chose de très important l’appelait, fait demi-tour, repart en courant vers les jeux.
Pas un dixième de seconde de surprise chez la petite fille, pas d’attente, pas la moindre déception. Un nouveau jeu ? Elle saute avec légèreté, elle démarre à sa suite, court derrière lui, le rattrape sans peine et le dépasse. Le garçon rit du plaisir de la course et la voici, avant lui, la première, sur l’échelle du toboggan. Ils s’enlacent, ils dansent, plus ou moins en équilibre sur l’échelle. On entend la musique aiguë de leurs rires, à tous les deux, une parfaite connivence. Tout le front de mer s’illumine.
Alors, vous doutez encore de l’humanité ?