École maternelle Max Duclos, quartier sainte Thérèse, la Possession. Classe des Moyens et des Petits.
La classe, les classes, de toutes les écoles maternelles, fonctionnent sur un thème unique : ça redonde, ça sursature, ça inonde, ils en redemandent. Noël. Kenny, 5 ans, 60 kilos, me montre son dessin. Qu’est-ce que c’est ça, Kenny ? Des gros ronds tout en couleurs descendent du bord supérieur de la feuille, passent largement autour du gribouillis bleu central (qui s’avérera être un bonhomme de neige – mais il a pas de tête ! dit Assina) et vont jusqu’au bas de la page.
La neige, dit Kenny, c’est la neige !
Bravo ! Elle a des gros flocon et elle flashe !
Comment l’imagination construit quelque chose que l’œil n’a jamais vu dans le réel, la main jamais touché, c’est troublant. Tous dessinent la neige en couleurs. Ils mettent des couleurs parce que c’est la fête.
La neige a les couleurs du rêve.
Il neige très rarement au bord de la mer.
Enfant, je n’ai jamais vu la neige. Ou de loin, sur les sommets des Pyrénées, à l’automne. Ou quelques flocons vite fondus sur Paris.
La neige est une merveille inouïe. Je rêve de neige à Noël.
Cartes décorées avec du coton collé, comme la barbe du Père Noël, sapins blancs à bonnet pointu, je m’en gave, je m’en fabrique en série. En rêve je déblaie la neige devant la maison, comme Donald et ses neveux, avec Mickey et Goofy, j’ai froid dans la neige de Londres comme Princesse Sarah, je marche dans la neige pour aller à la messe de minuit, en Provence, du côté du Moulin de Daudet.
Mais on ne va pas à la messe de minuit et jamais il ne neige.
Un jour pourtant, je suis en sixième, des flocons arrivent accompagnant une étrange luminosité.
Il se produit alors quelque chose d’extraordinaire : le professeur, de sa propre initiative, arrête son cours de latin et nous envoie dehors.
Tous les professeurs arrêtent leur cours et tous les enfants se mettent à courir sous des flocons légers qui touchent à peine le sol. Etonnés, ravis.
Je cours la tête levée, la bouche ouverte, pour sentir le picotement de la neige sur mes lèvres et sur ma langue, les bras ouverts pour en attraper davantage. Moment de pur bonheur, je découvre le pouvoir euphorisant de la neige, l’atmosphère insolite, l’étrangeté absolue.
Voilà mon premier souvenir de neige.
Kenny, Samantha, Benjamin, Amanda, Wilson barbouillent à coeur joie leur neige écarlate, leur neige couleur de lave et de jacaranda. Ils feuillettent des catalogues, y déchirent ou découpent les uns des photos de quad les autres de barbie. On transpire malgré les ventilateurs.